Faut-il investir dans les éoliennes ?
jeudi, 17 septembre 2009
A quelques semaines du vote du Grenelle 2, le rythme des
raccordements des éoliennes marque le pas en France. Reportage au
Portugal où une région entière plongée dans la crise a connu en quatre
ans à peine une révolution industrielle. En construisant 200 moulins
à vent par an hautement performants. 60% de la production partira
bientôt à l'export.
« L'avenir, ce n'est pas le vent ! Je ne sais pas qui a trouvé ça ! » assène depuis des mois l'ancien Président de la République Valéry Giscard d'Estaing. Dans ses réunions-débat, tout y passe pour dézinguer l'éolien : un « hachoir à oiseaux » dénoncent ses proches, un complot ourdi par « le puissant lobby germano-danois » martèle Giscard qu'on croyait un peu plus européen. Des affairistes, ajoute-t-il, qui « s'attaquent aux paysages de la campagne française ». Insignifiant à force d'être être excessif ? « Ne croyez pas ça, confie André Antolini, Président du Syndicat des énergies renouvelables. Cette propagande a des effets très sensibles sur les votes des parlementaires. L'objectif de 10% d'énergie électrique issue de l'éolien fixé pour 2020 par le Grenelle de l'environnement est compromis. On accumule les retards. »
Puisque courent les rumeurs les plus fantaisistes - les éoliennes feraient avorter les vaches, rendraient sourds, ruineraient le contribuable...- André Antolini a invité le Nouvel Observateur à y voir de plus près. Et surtout à découvrir aux pieds de ces moulins à phantasmes une toute nouvelle et insoupçonnable économie. Une ruée sur l'air.
Où ? Au Nord du Portugal dans le district de Viana do Castelo (250 000 habitants). Sur le port de Viana, en 2005, le chantier naval agonisait et la ville sombrait. Lisbonne, qui a proscrit le nucléaire, lançait alors un appel d'offres pour la construction de plusieurs parcs d'éoliennes d'une puissance totale de 1200 Mégawats. « En énergie produite, c'est la moitié d'une de vos futures centrales EPR ! » plastronne Annibal Fernandes, le patron du groupement d'industries qui a remporté le concours et qui regroupe notamment EDP , l'EDF portugaise, et l'allemand Enercon, l'un des leaders mondiaux de fabrication d'éoliennes.
Le miracle, c'est que pour construire, planter, entretenir ces machines de 80 mètres de hauteur (quasiment la longueur d'un terrain de foot) et leurs pales (50 mètres chacune et 8, 5 tonnes à la pesée), la ville de Viana do Castelo s'est offert une révolution industrielle éclair. Dés cette année, 25% du PIB du district tourne au vent. C'était 0% il y a quatre ans. Les autorisations très tatillonnes de tous les ministères y compris ceux qui protégent le paysage ? « Environ trois mois de délai contre souvent plus de trois ans en France. » soupire Antolini. Deux mille salariés, tous portugais, qu'ils soient ingénieurs ou ouvriers, en majorité des femmes, ont été embauchés dans les sept nouvelles plateformes qui produisent tout. Des câbles électriques, aux tableaux électroniques en passant par les générateurs (55 tonnes), le mât en béton, la nacelle en métal dessinée par l'architecte Foster...
« Le « made 100% in Portugal », c'était le deal imposé au « lobby germain ». le constructeur allemand Enercon a accepté sans broncher. Au total, chaque année, 200 éoliennes sortent des plateformes de Viana do Castelo et de ses environs. Du coup, une trentaine d'entreprises locales tournent à plein régime. Avec cinq emplois indirects pour une embauche, ce sont quelques 10 000 emplois créés en moins de trente mois. Ici on ne travaille pas à la chaîne. Le col-bleu se déclare « artisan » : « Vous voyez les milliers de plaquettes de cuivre au format de tablette de chocolat qui servent à produire l'électricité ? Eh bien nous les fixons une à une sur le générateur dit Alvaro. . On vérifie tout. Du cousu main». Il a vingt-cinq ans, un sourire qui n'en finit pas : « Moi je viens d'un petit village plombé du coin. Ici, tous les jeunes du district rêvent des éoliennes. Ça sent le propre et le futur. ». Il est exact qu'entre 2011 et 2013, une fois que les turbines de la région seront toutes installées, 60% de la production de Viana do Castelo partira à l'export sur un marché dont la croissance mondiale est de... 20% par an.
Il faut grimper haut , très haut, dans l'arrière-pays montagneux et caillouteux impropre à l'agriculture, pour distinguer les éoliennes géantes de 82 mètres. Sur la cime, le centre de la ferme Alto Minho qui regroupe 120 machines distribuées sur 50kms de crête... Des chèvres broutent nonchalamment ici et là. Du bruit ? On a beau tendre l'oreille... Rien. Mieux vaut vérifier, monter en haut de la machine, s'harnacher comme un alpiniste, grimper une échelle, puis prendre un ascenseur jusqu'à la nacelle. Et enfin sortir la tête. On voit le rotor pivoter doucement sur son axe pour capter au plus prés le souffle des alizés de l'Atlantique. Un silence absolu. Presque exagéré. « Normal, éclate de rire, le technicien de maintenance. Sur les machines que produisent Enercon il n'y a pas de boîtier de vitesse. Aucun frottement. Et puis, vous voyez les extrémités des pâles. Elles sont recourbées. C'est la réplique exacte des ailes d'un aigle quand il pique sur sa proie. Pas le plus petit chuintement »
Et pourtant, elles donnent les éoliennes. Rien que sur cette ferme, 240 Mégawats sortent des turbines et assurent 55% de la consommation électrique des 250 000 habitants du District. « Dés 2010, au Portugal, 20% de l'électricité nationale lusitanienne sera produit par le vent. Et 40% le seront par les énergies renouvelables si l'on ajoute l'hydroélectricité » note Nubo Ribeiro da Silva , ex-secrétaire d'Etat à l'Environnement. Parfois, c'est un couplage entre l'eau et l'air : l'énergie produite la nuit par les éoliennes peut servir à pomper l'eau en aval des barrages pour faire tourner les turbines hydroélectriques le jour. Et faire face aux pics de consommation.
Vraiment du pipo le vent ? « Écoutez, dit Anibal qui a commencé sa carrière à Shell, est passé par l'Ecole des Mines de Paris et a construit le terminal méthanier de Lisbonne, je sais que chez vous on ne jure que par le nucléaire. Mais à quelques kilomètres d'ici en Espagne, on en est déjà revenu de l'atome miraculeux. Sur huit centrales, deux sont en fait en arrêt technique. Et l'année dernière, si le black-out électrique a été évité chez eux, c'est en grande partie grâce à... nos éoliennes. La technologie des moulins à vent modernes est mature, coûte encore 10 à 25 moins cher que le solaire. Croyez-moi ou non, mais je peux vous jurer que ça rapporte. Déjà plus que le nucléaire. Faut juste être de bonne foi. »
Guillaume Malaurie