Jonquet avait des problèmes cardiaques, voilà ce que l'on apprend sur ce blog
Avec ses livres souvent prémonitoires, ce révolté autopsiait notre société, mettait en scène les éclopés de la vie. L’écrivain et scénariste Thierry Jonquet, auteur notamment de “Mygale”, “Moloch”, “Ad vitam aeternam”, est mort hier soir, à Paris, des suites de problèmes cardiaques. Il avait 55 ans.
Avec ses livres souvent prémonitoires, ce révolté autopsiait notre société, mettait en scène les éclopés de la vie. L’écrivain et scénariste Thierry Jonquet, auteur notamment de “Mygale”, “Moloch”, “Ad vitam aeternam”, est mort hier soir, à Paris, des suites de problèmes cardiaques. Il avait 55 ans.
Thierry Jonquet est décédé dimanche 9 août dans la soirée. Il avait 55 ans. Dans Rouge c’est la vie, un de ses livres tout en colère et tendresse, il disait vouloir écrire des romans noirs, «
de ces intrigues où la haine, le désespoir se taillent la part du lion
et n'en finissent plus de broyer de pauvres personnages auxquels je
n'accorde aucune chance de salut. »
De livres en livres, Jonquet n’en finissait pas de
désigner la barbarie, la bêtise, les guerres fratricides. Il autopsiait
notre monde d’aujourd’hui en fabriquant des histoires souvent
prémonitoires. Lui qui avait l’allure d’un père peinard, carburait à la
révolte et s’engouffrait dans la littérature comme ultime chance de
rester debout, digne malgré la folie de notre société. Jonquet mettait
en scène les éclopés de la vie, les enfances volées, les corps
torturés, les vieillards oubliés, les esprits désemparés. Il dénonçait
les lâchetés des politiques, l’aveuglement des bien pensants et en a
irrité plus d’uns.
Thierry Jonquet écrivait des romans noirs parce qu’il
n’avait pas le choix. Il aimait trop la vie, rire avec les amis, lire
encore et encore, pour ne pas la titiller, l’interroger et nous avec.
Nous republions ici un portrait de Thierry Jonquet paru dans Télérama le 22 mai 2004, à l'occasion de la sortie de Mon Vieux.
Souvenez-vous. C'est l'été 2003. Il fait chaud. De
plus en plus chaud. Les jours passent, la chaleur grimpe, l'inquiétude
grandit. La panique s'installe. Les maisons de retraite se transforment
en mouroirs. Les hôpitaux débordent de patients. Les urgentistes crient
au secours, suivis de près par les pompes funèbres, d'habitude si
silencieuses. Le chef de l'Etat, lui, ne renonce pas à ses vacances. On
réquisitionne des hangars, des camions frigorifiques. On stocke les
cadavres comme on peut. Les médias bafouillent, peinent à obtenir des
chiffres. Le fait divers - une canicule - fait place à une catastrophe
nationale. Fin août, le verdict tombe : quinze mille décès.
Cela s'est passé en France, et nulle part ailleurs. On s'interroge. A
qui la faute ? Les uns accusent l'inertie des autorités - ministres,
maires ; les autres montrent du doigt les mauvais citoyens, ceux qui
délaissent leurs parents, leurs vieux.
Pour un écrivain comme Thierry Jonquet, toujours
prêt à dénoncer les détraquements de notre société, un tel événement ne
s'enterre pas à la hâte. Ce même mois d'août, presque en transe face à
tant d'horreurs, il épluche les journaux, enquête, rencontre ceux qui
se battent sur le front de la mort (médecins, infirmiers, pompiers...),
puis se met à bâtir une intrigue. Son roman, Mon vieux (celui
qu'il vous faudra emporter pour vos vacances au soleil !), a pour "
décor " la canicule de l'été dernier et met en scène les habitants d'un
quartier de Paris, Belleville. Comme pour ses précédents romans, Moloch (terrible descente dans les réseaux pédophiles) ou Ad vitam aeternam
(plongée dans l'univers de la marchandisation des corps), Jonquet
s'inspire de ce qu'il voit, entend. Invente des personnages pêchés au
coin de sa rue, des gentils et des vilains - souvent ils ont les deux -
et imbrique petit à petit leurs destinées. Il les mène au paroxysme de
leur pauvre vie pour nous montrer l'accablante réalité qui nous
entoure. Mais Jonquet, ce moraliste sentimental, nous entraîne bien
plus loin. Il nous oblige à faire nôtre cette société foutraque, à la
décortiquer, à mettre au feu son ordre établi, à refuser la déchéance
des uns, l'indifférence des autres. Il écrit en rouge et noir
l'abjection et la folie, et nous invite pourtant à rêver sur ses romans
clairs-obscurs, à imaginer un monde de clarté et de tendresse...
Il fait chaud. Une bande de clochards a établi ses
quartiers d'été sur les trottoirs de Belleville. Jonquet, à la manière
d'un Jack London descendu dans la rue pour écrire Le Peuple d'en bas
(éd. Phébus), raconte avec minutie leur quotidien, misères et combines,
souffrances et violences. Apparaît Daniel. Jeune chômeur en fin de
droits, il regarde les sans-abri, ne veut pas finir comme eux, " à la
poubelle ", mais en prend le chemin. Puis, voici Alain. Lui est
scénariste pour la télé, écrivain raté. Il peine sur son ordinateur, à
écrire des inepties qui plairont, sans doute. Il ne songe qu'à sa
fille, une ado de 16 ans. Un accident de deux-roues lui a arraché la
moitié du visage. Il est prêt à tout - à payer beaucoup - pour qu'elle
retrouve forme humaine et envie de vivre. Et voilà qu'un dernier
personnage s'écroule, en pleine rue. Un vieillard. Souvenez-vous, il
fait chaud, très chaud. A l'hosto, on lui découvre la maladie
d'Alzheimer. Qui est-il ? Que vient-il faire dans ce roman ?
Mon vieux est un texte formidablement construit.
Dialogues natures et suspenses maîtrisés s'enroulent avec intensité.
Thierry Jonquet nous ballotte de la réalité - la canicule, les SDF - à
la fiction avec un plaisir démoniaque. Cet écrivain-là n'est pas un
adepte de la pureté stylistique, mais un formidable raconteur
d'histoires, un bâtisseur de satires, un empêcheur (efficace !) de
respirer en bonne (in)conscience. Il a l'indignation au ventre. Du
coup, il n'hésite pas à malmener un de ses héros, Alain, le père de la
gamine accidentée. Il lui fait retrouver son propre père, un type qui
l'a abandonné tout gosse. Le père, " ce salaud ", c'est le vieillard
sans mémoire tombé sous la chaleur accablante. Les frais
d'hospitalisation sont exorbitants. Nul n'est censé ignorer la loi :
Alain doit payer pour ce père, même " inconnu ". Il comprend que son
passé ne cessera de le poursuivre : " On n'échappe pas à ses parents.
Si ferme que soit la haine, il reste toujours de minuscules attaches,
visqueuses, des traces indélébiles qui se répandent, s'infectent,
exactement comme une maladie de peau. "
Dilemme : tout donner à celui que l'on hait et rien à
celle que l'on aime ? Etre responsable de son père et pas de sa fille ?
Qu'est-ce que la filiation ? La loi du sang et rien que du sang ? Ou
celle de la raison ? Du cœur ? Jonquet, en artisan chevronné ès polars,
met en place la tragédie : la Faucheuse entre en scène. C'est une star.
Très séduisante.
Thierry Jonquet n'a pas d'états d'âme : de livre en
livre, il œuvre à bousculer la morale. Il est l'un des rares en France
à être resté fidèle à son engagement d'auteur de romans noirs : écrire
le monde, montrer l'ignoble. Il adopte les méthodes journalistiques
(enquêtes, interviews, recherche de documentation) et, avec l'aide de
son imaginaire, fait revivre ce que l'on a peut-être déjà oublié,
zappé, jeté à la poubelle avec les journaux. Jonquet raconte des
histoires et écrit des pans de notre histoire, donne un sens à une
actualité qui chasse l'autre, prolonge l'éphémère. Il fait ce que le
journaliste ne peut faire. C'est le pouvoir de la littérature.
Souvenez-vous. C'était l'été dernier. Il faisait chaud, très chaud.
Thierry Jonquet ne pouvait pas se taire. Il s'est mis à écrire Mon vieux. Sans doute, d'abord pour lui-même, pour ne pas mourir de honte.