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Le blog de Lucien
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30 octobre 2008

J'ai vu "Entre les murs" ce matin, c'est un excellent film...

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Ce film a été descendu par le Nouvelobs papier qui avait convié des enseignants à  le voir . Tous disaient que jamais ils n'avaient vu que l'on pouvait enseigner de cette manière et que le prof était trop dans l'affrontement avec les élèves etc etc etc.
Moi qui ai fait 7 ans de "ZEP Zone sensible classée violence" en tant que prof de lettres, je peux dire que c'est le seul film que j'ai vu qui restitue avec un réalisme étonnant la tension qui peut régner dans de tels établissements, entre profs et élèves, entre profs, entre profs et la hiérarchie. Tout ce film joue sur les mots et il est flagrant que les élèves ont leurs mots, leur vocabulaire et donc leur monde et que le ou les profs ont leurs mots.Il est évident que ces deux mondes ne peuvent pas communiquer car s'ils sont sont mêlés socialement par l'artifice des cours ils n'ont pas du tout les mêmes intérêts. Ce qui est parfaitement montré c'est l'isolement dans lequel sont les profs et la complicité dans laquelle vivent les élèves. Et quand finalement au bout d'une discussion qui va droit dans l'impasse, le prof de lettres traite les deux filles de "pétasses" dans un contexte particulier...et bien le film bascule vers ce qui aurait pu être l'horreur. Et disons tout de même que ces "pétasses", représentantes des élèves au conseil de classe qui est parfaitement rendu dans le film, n'ont pas cessé de se parler, de manger des biscuits pendant que les profs et le principal réfléchissaient aux remarques qu'il fallait mettre en-bas de chaque bulletin.

Le prof qui se fait "traiter" (comme disent les élèves) à longueur d'heures et de jours n'a absolument pas le droit à l'erreur, sous pression constante il ne doit JAMAIS même en plaisantant, employer le langage des élèves. Les rôles sont ainsi fixés, ce sont les élèves qui font subir leur loi aux profs qui n'en peuvent plus, ils les cherchent par des allusions personnelles: " vous seriez plutôt penché vers les hommes?" ils les provoquent, se battent entre eux décident de foutre le bazar  et le prof doit garder son calme TOUJOURS.

Ce film par son unité de lieu, de temps et d'action fait penser à la tragédie grecque, la caméra laisse peu d'espace entre les personnages, même dans la cour, ils sont constamment ensemble dans un lieu dangereux où le savoir ne peut plus se transmettre. J'ai rencontré des élèves comme ceux du film, mes cours ont été perturbés par la volonté de quelques élèves et ceux qui voulaient apprendre, comme le jeune vietnamien, souffraient en silence.

On peut regretter des invraisemblances:
Un prof, même s'il veut accompagner un élève dans le bureau du Principal parce qu'il lui a manqué de respect ou l'a insulté, ne peut pas abandonner sa classe. Il commet là une des pires fautes professionnelles. De plus, le prof a un programme, des instructions officielles qu'il doit suivre le mieux qu'il peut et là dans cette classe, on ne lit pas les auteurs au programme de 4ème. Autre chose encore, le prof n'a pas recours au travail de groupe par tables de deux ou de quatre, il est toujours seul face aux élèves et là il bloque tout travail collectif qui partirait de constats, de questions, de résultats trouvés par les élèves seuls, du moins au début, au prof alors de les accompagner.

"Entre les murs" n'est pas un film réaliste, c'est du théâtre qui va au bout d'une logique tristement vécue par nombre d'enseignants, on perd énormément de temps en 55 minutes de cours à faire entrer et s'asseoir les élèves, à attendre qu'il daignent sortir leur matériel scolaire quand ils en ont, à attendre ou imposer le silence et enfin à tenter de les faire travailler. Ce film a le grand mérite de dire ceci finalement...vous trouvez que prof c'est un métier protégé par la sécurité de l'emploi, les vacances, un emploi du temps léger ,18heures de cours en présentiel, et bien allez donc montrer ce que vous savez faire. On vous demande juste...de faire se ranger une classe dans son rang dans la cour, de faire monter les élèves en silence, de les faire se ranger dans le calme près de la porte de la salle de classe,d'ouvrir la porte, de les faire entrer, s'asseoir, sortir leurs affaires jusqu'à ce que vous puissiez dire " Mourad, est ce que tu veux bien nous rappeler ce qu'il y avait à faire pour aujourd'hui?" Si vous arrivez à faire cela, rien que cela , en moins d'un quart d'heure,et surtout dans le calme, vous êtes fait pour cette profession.

Voici la critique du Monde

Palme d'or 2008 peut-être, mais Entre les murs, de Laurent Cantet, est-il un film si exceptionnel que cela, avec ses petits moyens, ses non-comédiens, son refus délibéré d'en mettre plein la vue, son propos sociopolitique brûlant ? La réponse est oui, sans l'ombre d'un doute.

Chambre d'écho des questions, malaises, dilemmes et combats qui agitent le monde depuis plusieurs années en matière d'éducation, d'identité, de culture, d'intégration, Entre les murs arbore comme rarement une palette d'émotions, il est à la fois ou tour à tour grave, subtil, incisif, perturbateur, drôle, poignant. Sa récompense est indiscutable. Son impact dépasse largement les frontières hexagonales, comme l'a démontré l'accueil que lui fit sur la Croisette un jury international, une presse et des acheteurs étrangers subjugués.

Ce qu'il nous donne à voir est un face-à-face entre un homme et un groupe constitué d'individus aux sensibilités épidermiques. Un professeur de français dans une classe de quatrième d'un collège parisien du 20e arrondissement. Histoire d'une année scolaire, condensée en deux heures, donc réduite à ses moments de tensions, de crises ou d'instants signifiants. Histoire d'un pédagogue adulte, de tempérament optimiste, confronté à la jeunesse, à l'imprévu, à l'intolérance, à l'ingratitude, aux difficultés de la communication, aux fossés dialectiques, au choc des cultures, aux pièges du dérapage, aux risques du métier, à la solitude.

Cet homme, François, interprété à la perfection par François Bégaudeau (enthousiaste, complice, ironique, fatigué, opiniâtre, idéaliste, décontenancé, affecté, amer), ancien professeur et auteur du livre adapté (éd. Verticales), n'est pas seulement en danger de rupture avec ses élèves, mais aussi avec un corps enseignant parfois lassé, irrité, répressif. "J'en ai marre de ces guignols, j'peux plus les voir", lâche le professeur de technologie.

Attentif à filmer le travail et les crispations qu'il génère, Cantet plonge ce Bégaudeau fictif dans le même désarroi que le DRH de Ressources humaines (1999) aux prises avec ouvriers et syndicat à l'heure de l'application des 35 heures, que le sans-travail de L'Emploi du temps (2001) englué dans le mensonge pour ne pas perdre la face : comment trouver sa place, être en phase avec les gens qui vous entourent, conjuguer l'être et le paraître, atténuer l'écart entre dominés et dominant, résister au corps social sans déchoir, rester soi-même en paraissant dans la norme, préserver son identité sans subir les foudres du jugement collectif ?

Mais dans le cadre de cette école de la République, lieu de mixité sociale, caisse de résonance des problèmes d'immigration, de sans-papiers, ces questions, et les rapports de pouvoir et de résistance à l'autorité qu'elles sous-entendent, les élèves de François et leurs parents se les posent aussi. Dans Entre les murs, la difficulté à être ensemble, à se comprendre et à refuser la résignation sans provoquer la violence et l'exclusion, est vécue des deux côtés de l'estrade.

Le film raconte comment François, en dépit de son talent à improviser, à mettre ses élèves à l'aise, à converser d'égal à égal, à respecter la subjectivité de chacun, se heurte à l'indiscipline, à l'insolence, au refus, à la vanne, à la rébellion, et dérape, oublie le poids des mots, fait un faux pas, brouille son seuil de tolérance. Et comment il frôle sans cesse l'impasse, comment sa classe véhicule homophobie ou antisémitisme, comment un élève d'origine malienne renvoyé après conseil de discipline est condamné à retourner dans son pays. Il y a une constante dans le cinéma de Laurent Cantet : celle de l'échec, de la défaite de l'individu face au corps social.

Polémique sur l'opportunité d'apprendre l'imparfait du subjonctif ("Si on l'utilise, tout le monde va dire : "Hou là, ils sont malades ou quoi ?""), parano de Khoumba qui refuse de lire un texte ("Vous avez la rage et vous vous en prenez à moi !"), ras-le-bol de Juliette et de ses copines d'être "traitées de thon dès qu'on a quelques kilos de trop !", apostrophes de filles entre elles ("T'as pété un câble ou quoi ?"), dignité d'une mère africaine ne parlant pas un mot de français face au principal qui lui signifie que son fils est un perturbateur...

La magie du film est là, dans la dextérité avec laquelle Cantet capte cette vie bouillonnante entre quatre murs, ce brouhaha permanent, la honte de soi des uns et la tchatche des autres, les éternelles palabres, débats houleux, protestations contre un prof trop "vénère" ("énervé"), et l'irruption brutale de l'émotion, au spectacle d'un élève paumé, d'un rejeté sans défense.

Sous contrôle de cet enseignant qui vit sa mission comme un sacerdoce, et épatés par le parler tonique de ces ados frondeurs qui ont le verbe haut parce qu'ils jouent comme au théâtre ("Moi des fois je traite Khoumba de Négresse, mais ça veut rien dire !"), on s'amuse beaucoup, même quand on rit jaune, lorsque Boubacar et Souleymane s'en prennent à la prétendue sexualité du professeur ("Y'en a qui disent vous aimez les hommes"), lorsque Sandra se plaint d'avoir été "insultée de pétasse", persuadée sans en démordre qu'une pétasse est une prostituée ("C'est pas normal qu'on s'fasse traiter par les profs de l'école !"). Le bureau du principal est surnommé "Guantanamo".

Somptueusement, Entre les murs filme la guerre de la parole. D'un côté l'enseigner, savoir riposter, répliquer dans l'instant, gérer l'instant où ça coince, de l'autre avoir le droit de la prendre, épater le professeur en faisant l'éloge de La République de Socrate : "Je l'aime bien lui, il parle tout le temps, c'est trop marrant", lâche Sandra. Fondé sur la maïeutique, le film rend hommage à ce prof capable d'amener ses élèves à décoder le savoir en leur parlant comme à des adultes, de la même manière que ce "type qui, sur l'agora, écoute les gens, et après il leur dit : "Eh toi, qu'est-ce que tu viens de dire là ? T'es sûr que c'est vrai ce que tu viens de dire ?" Des choses comme ça". Lectrice du bouquin de Socrate que lui a conseillé sa grande soeur, Sandra n'est pas peu fière de pouvoir dire à son professeur que "c'est pas un livre de pétasse". Car l'enjeu ici, c'est d'avoir le dernier mot.

 


Film français de Laurent Cantet avec François Bégaudeau, Esmeralda Ouertani, Franck Keïta, Rachel Régulier, Wei Huang. (2 h 08.)

Jean-Luc Douin

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Commentaires
M
Excellent film qui traduit parfaitement et fidèlement la mission éducative actuelle dans ces zones dites sensibles réduite à celle que l'on pourrait qualifier de socialisante. La violence,non seulement verbale, institutionnelle mais aussi physique, est l'enjeu premier et le barrage premier que l'enseignant doit surmonter, éradiquer dans une dynamique de groupe en constante opposition à l'individu coupable de représenter l'institution. avant.Est-il encore dans ce contexte possible de s'interroger sur le rôle de magister appauvri et la pauvreté de l'acquisition des savoirs?? Un film très formateur pour nos politiciens !
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