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Le blog de Lucien
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16 mai 2008

Chine (Libération)

reportage

Au chevet d’un Sichuan en ruines

Envoyé spécial dans la vallée de Shifang ABEL SEGRETIN

QUOTIDIEN : vendredi 16 mai 2008

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Dans la vallée de Yanghua, à quelques kilomètres de l’épicentre, c’est la destruction à perte de vue le long de la rivière. Quelques immeubles endommagés émergent d’un océan de ruines. Les usines de produits chimiques encore debout mais déformées par le séisme crachent des volutes de fumée blanche qui piquent le nez et les yeux. Des rescapés encore hébétés par le choc parsèment ce paysage sinistre, fouillant les décombres de leur habitation.

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La plupart ont perdu un ou plusieurs proches. Il y a près de 20 000 morts ou disparus dans cette zone, sur 40 000 habitants. Un policier affirme que la fumée n’est pas toxique, mais tout le monde porte un masque distribué par les autorités. Un ouvrier de l’usine et sa femme disent qu’il s’agit de soufre, et que plusieurs personnes se sont évanouies. Il y a aussi un déversement d’ammoniaque dans la rivière.

Mais la priorité n’est pas au contrôle de la pollution. Partout des soldats s’activent. «Il faut à la fois déblayer les décombres, évacuer les morts et les blessés, gérer le trafic, garantir la distribution de vivres et assurer l’ordre», dit un officier de l’armée de l’air parachuté la nuit d’avant, avec 600 soldats d’élite. Il est épuisé mais serein, comme ses hommes.

Perfusions. Devant lui, sur un pan de bâtiment d’une dizaine d’étages à moitié écroulé, les petites portes numérotées s’ouvrent sur le vide. C’était le dortoir de l’usine d’engrais qui employait 3 000 personnes. Leurs vêtements sont encore accrochés. Une pelleteuse excave, au fur et à mesure qu’un groupe de pompiers secouristes s’affaire à fouiller les décombres. Il reste une cinquantaine de personnes sous les gravats, mais les chances de les retrouver vivants sont maigres, trois jours après le tremblement de terre.

Un peu plus loin, les restes d’une partie d’usine sont déblayés par un détachement de parachutistes, qui soulèvent des morceaux de béton énormes à la main. Soudain, l’un d’entre eux appelle les infirmiers. Il a retrouvé un corps. Le brancard arrive. L’homme remue les lèvres, il est encore vivant après soixante-quinze heures sans eau ni nourriture sous les décombres. On lui couvre les yeux pour qu’il ne soit pas aveuglé, on lui place des perfusions, on lui humecte la bouche desséchée. Il est emmené vers un hôpital de campagne sous des tentes kaki en bordure des ruines. On devra lui amputer une jambe qui s’est infectée, mais il vivra.

Les soldats recommencent à fouiller les décombres. A flanc de montagne derrière eux, une multitude de tumulus multicolores fraîchement décorés contrastent avec le gris poussiéreux des ruines et le vert sombre de la végétation. Ce sont les tombes des victimes, enterrées par leurs proches. Ou par des volontaires quand toute la famille a péri.

Camps de fortune. La route est encombrée par des véhicules de réfugiés, de secouristes, et de volontaires venus des villes pour aider. On croise un groupe de volontaires de l’association pour la sagesse et l’amour, d’obédience pseudo-bouddhiste qui propose aux survivants hagards de les rejoindre pour trouver le réconfort spirituel. Un peu plus loin des excavatrices et des soldats équipés de marteaux-piqueurs essaient de pulvériser d’énormes rochers bloquant la chaussée sur des dizaines de mètres. Au loin, tout un pan de montagne s’est effondré sur le village de Beihong. Les maisons dépassant des pierres sont détruites par la secousse. Des militaires héliportés remuent les gravats et extraient des corps, aidés de chiens. D’autres passent à pied, apportent des vivres et rapportent à dos d’homme des blessés. Des familles entières sont chargées sur des camions, direction les camps de fortune . C’est la première ligne des secours. Au-delà, il y a d’autres villages dont on est sans nouvelles. Cette avancée pas à pas dans les zones montagneuses, combinée à de mauvaises conditions météo, a fait revoir fortement le bilan à la hausse.

Bâches. Dans les plaines, alors que la majeure partie des endroits sinistrés a pu être atteinte par les secours, l’urgence croît. Les risques sanitaires sont élevés. L’eau des puits et des robinets est impropre à la consommation, contaminée soit par des reflux de sable, soit par des produits chimiques. «Nous savons que l’eau n’est pas bonne, mais nous n’avons reçu aucune aide durant deux jours, alors nous l’avons quand même bue», dit un agriculteur de la commune de Lingjie, à moins d’une heure de route de la ville de Shifang, relativement épargnée par la catastrophe mais en aval des usines chimiques détruites. Au troisième jour, lui et les 500 résidents ont enfin eu droit à une petite bouteille d’eau par personne et à quelques nouilles instantanées.

Dans les villes qui accueillent les réfugiés des zones sinistrées, la tension monte. Certains sont regroupés par centaines dans des stades ou des écoles, comme à Mianyang. Ils vivent sous des bâches en plastique, les sanitaires font défaut, et le personnel médical est trop débordé par le soin des blessés pour s’occuper d’eux.

Pékin a lancé un appel à mobilisation générale. Alors que l’activité économique est paralysée, d’innombrables voitures de volontaires venus spontanément de tout le pays sillonnent la région, apportant de l’eau et des biscuits aux sans-abris. Des groupes de jeunes sont chargés de recenser les morts, les disparus, les blessés, ainsi que les dégâts matériels. L’étendue de la catastrophe est trop grande pour que les secours ordinaires, aussi nombreux soient-ils, puissent tout régler. Sous une tente en plastique, une femme confie : «Cela prendra des années, peut-être des générations, avant qu’on retrouve ce qu’on avait avant.»

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